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Infos prison sur Saint Etienne

Quelques infos critiques sur la prison et l'enfermement à Saint Étienne, parues sur la page fb du même nom

Recours contre la Talaudière : explication d'une avocate participante

Publié le 29 Mars 2023

Recours contre la Talaudière : explication d'une avocate participante

Adeline Dubost est avocate sur Lyon et membre de l'OIP. Elle a participé au recours intenté au tribunal administratif contre la Talaudière, en raison des conditions de détention inhumaines et dégradantes.

Elle répond à quelques questions sur ce sujet :

Pourquoi avez vous décidé de faire ces recours en justice ?

L’Observatoire international des prisons est une association qui lutte pour les droits fondamentaux des personnes en prison. L’un des champs de cette lutte est l’amélioration des conditions de détention.

Ce recours s’inscrit dans cette logique, la Maison d’arrêt de la Talaudière étant connue pour ses conditions de détention particulièrement effroyables. Ce recours est intervenu quelques mois après la visite de la maison d’arrêt par la députée Andrée Taurinya (accompagnée de journalistes, notamment une salariée de l’OIP), qui a particulièrement mis en lumière ces conditions et la vétusté de l’établissement (la députée a d’ailleurs fait un compte rendu sur twitter : Andrée Taurinya sur Twitter : "Mardi 1er novembre, je me suis rendue au centre pénitentiaire de la Talaudière pour exercer mon droit de visite. Sans rater de débats importants dans l’hémicycle, j’ai pu y observer le fonctionnement dégradé de l’établissement en jour férié. On s'accroche : un fil🧵 1/46 https://t.co/aVaLlgLpxU" / Twitter).

 

Comment est ce que ça c'est passé au tribunal ?

Nous étions trois avocats à plaider le recours. Nous avons plaidé pendant environ 1h30 et le juge nous a écouté sans nous interrompre. Ensuite, l’administration pénitentiaire a répondu sur certains points. Nous avons pu répondre à notre tour, et l’administration a eu la parole en dernier, étant en défense. Le juge a accepté de nous laisser un délai supplémentaire pour répondre par écrit au « mémoire » (les écrits produits par l’administration pour se défendre) qui nous a été envoyé le matin à 11h30 (l’audience était à 15h) avec 834 pages de pièces…

 

Quels peuvent être les résultats possibles (et les conséquences pratiques qui en découlent) de ces recours ?

Ce recours est une « référé-liberté ». En bref, cela consiste à saisir le juge pour lui demander de mettre fin en urgence à une (ou plusieurs) atteinte à une liberté fondamentale. Nous considérons que les conditions de détention à la Maison d’arrêt de la Talaudière portent particulièrement atteinte au droit à la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants et au droit à la vie privée et familiale.

Nous avons donc demandé au juge de prendre des « injonctions » envers l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire de lui ordonner d’adopter un certain nombre de mesures pour essayer de faire cesser ces atteintes : par exemple, réparer les fenêtres des cellules de façon à ce qu’elles puissent fermer, nettoyer les cours de promenade, restaurer les cellules de façon à ce que les toilettes soient séparées du reste par une véritable cloison, réparer les téléphones, nettoyer et restaurer le quartier disciplinaire (et le fermer dans l’attente !)… Nous avons sollicité plus d’une trentaine de mesures.

 

Qu'est ce que ça peut changer pour les personnes détenues à la Talaudière ?

Si le juge accepte d’ordonner à l’administration de prendre certaines des mesures que nous avons demandées, et que l’administration met effectivement en œuvre ces mesures, cela peut apporter des changements concrets, plus ou moins importants : installations de cloisons pour séparer les toilettes du reste de la cellule quand il n’y en a pas, réparation des téléphones, la fin des fouilles intégrales quasi-systématique, la fin de l’utilisation d’entrave à chaque extraction médicale… Mais cela dépendra de la décision du Tribunal administratif.

Nous avons aussi constaté que le simple fait d’avoir déposé le recours a conduit l’administration à mettre en place certaines choses qui n’existaient pas auparavant, comme la possibilité d’une douche quotidienne pour les femmes qui ont leurs règles.

Enfin, la finalité de ce type de recours ne concerne pas uniquement les personnes détenues à la Talaudière, mais les droits de toutes les personnes détenues en France. L’objectif est aussi de renforcer le contrôle du juge sur l’administration pénitentiaire en général, afin qu’elle soit obligée de rendre des comptes et d’améliorer les conditions de détention.

 

A votre avis pourquoi la justice a retenu seulement deux points parmi toutes vos recommandations, et pourquoi ces points précis ?

Je ne veux pas prétendre être dans la tête du juge, mais ces deux points étaient assez difficiles à contester : pour l’un, l’organisation de la prison ne respectait pas la loi ; pour l’autre, le contrôle de la sécurité mettait en évidence un problème de conformité du paratonnerre.

Le reste des recommandations supposaient une appréciation plus subjective, et certaines étaient particulièrement contraignantes pour l’administration pénitentiaire.

 

Si l'OIP veut poursuivre au niveau du Conseil d’État, combien de temps la procédure peut encore prendre ? Et quels pourraient être les résultats ?

Comme pour le référé en première instance, le Conseil d’État devra se prononcer dans un délai de 48h après l’appel.

Le Conseil d’État se prononcera à nouveau sur toutes nos demandes.

 

En 2018, suite à la plainte déposée en 2011 par 2 détenus, la Talaudière avait déjà été condamnée pour des conditions de détention dégradantes. Là vous menez une procédure, et peut être y en a t'il aussi eu d'autres qu'on ne connaît pas. Est ce que ça peut faciliter la tâche à des détenu.es qui voudraient eux aussi saisir la justice ?

On l’espère ! Déjà parce que ça devrait faciliter la preuve des conditions indignes.

 

Quelles sont aujourd'hui les possibilités pour un.e détenu.e de la Talaudière qui voudrait faire un recours en justice concernant les conditions de détention ? qu'est ce qu'on peut en attendre ?

Il existe désormais un recours dédié aux personnes détenues qui voudraient contester l’indignité de leurs conditions de détention (créé suite à une condamnation de la France par la Cour européenne). Malheureusement, même dans le cas où l’indignité est reconnue, la personne détenue n’est pas forcément libérée. Elle peut être transférée dans un autre établissement, ce qui est souvent un frein pour les personnes qui voudraient intenter ce recours. En plus, il touche seulement à la situation d’une personne, celle qui fait le recours. Autrement dit, si les conditions de détention de cette personne sont reconnues comme indignes, elles pourront être améliorées (ou la personne sera transférée) mais les conditions de détention resteront les mêmes pour les autres personnes détenues.

 

Concrètement, ce que vous expliquez, c'est qu'aujourd'hui, si un détenu porte plainte concernant ses conditions de détention, il risque d'être transféré, mais un autre détenu sera mis à sa place et dans les mêmes conditions. Quel est donc l'intérêt de cette procédure ?

Le recours auquel je faisais référence n’était pas une plainte (qui relève du droit pénal, et peut conduire à l’ouverture d’une enquête), mais un recours spécifique pour demander qu’il soit mis fin à des conditions de détention indigne.

Je ne dis pas que la personne détenue sera forcément transférée, mais c’est une possibilité pour « régler le problème ». Si une autre personne se retrouve dans les mêmes conditions que celle qui a été transférée, effectivement, l’intérêt est nul d’un point de vue global – mais il peut y en avoir un pour la personne détenue qui « échappe » au pire. C’est un recours individuel, contrairement à celui que nous avons effectué devant le Juge administratif qui concerne l’ensemble de la population carcérale de la Talaudière.

L’autre intérêt pourrait être, théoriquement, d’obtenir un nombre important de décisions qui reconnaissent l’indignité des conditions de détention à titre individuel, pour appuyer les recours comme celui que nous avons fait contre la Talaudière et pour renforcer les argumentaires qui dénoncent le caractère systémique de l’indignité des conditions de détention en France.

Mais effectivement, ce recours, qui est en plus compliqué procéduralement, est très très loin d’être idéal et efficace…

 

En tant qu'avocat.es, si vous êtes déjà intervenu.es à la Talaudière, qu'est ce que vous avez pu constater ? (dans votre rapport à la direction, dans le traitement des détenu.es, dans l'état général de l'institution...)

Étant avocate à Lyon, je ne suis pas intervenue souvent à la Talaudière. Mais j’y suis allée à plusieurs reprises, et j’ai trouvé que la prison était effectivement dans un état pire que ce à quoi j’étais habituée (qui est déjà pas bien joyeux…). J’ai su que des personnes détenues dormaient sur des matelas au sol, que la nourriture cantinée arrivait parfois périmée…

Et j’ai eu une difficulté liée au faible nombre de parloirs avocats : comme il n’y en avait pas de disponible, je n’ai pas pu rencontrer mon client, ce qui constitue évidemment une atteinte aux droits de la défense.

 

Lors de la dernière visite du CGLP, il a été fait mention de l'état des locaux, mais également de la violence de certains surveillants, de fouilles répétées et humiliantes, d'un problème d'accès aux soins... Qu'est ce que l'administration pénitentiaire et le tribunal ont répondu à cela ?

Nous avons demandé l’arrêt des fouilles intégrales systématiques, et nous avons sollicité plusieurs injonctions quant à l’accès aux soins.

Le Tribunal a rejeté ces demandes.

L’administration pénitentiaire a répondu qu’un « processus » avait été mis en place pour assurer un suivi des fouilles. Quant aux soins, en gros, l’administration a répondu que l’offre était satisfaisante…

 

Est ce que la justice peut vraiment contraindre un établissement à rénover ses locaux ? Est ce que l'établissement peut rester dans le même état en contrepartie de payer des amendes ?

Il y a eu des décisions de tribunaux administratifs qui ont prononcé des injonctions en ce sens. Parfois, ces injonctions étaient assorties d’astreintes : ce ne sont pas des amendes à proprement parler, mais une somme d’argent à payer par jour de retard dans la mise en œuvre de l’injonction.

L’établissement n’est pas censé rester dans le même état. Mais on se heurte souvent à des difficultés pour vérifier : l’administration pénitentiaire refuse en général de nous donner les preuves qu’elle a réalisé les travaux (ou autres injonctions). On est obligé de ressaisir le juge pour espérer forcer l’administration à expliquer ce qu’elle a réalisé ou non.

 

Avez vous des pistes à proposer ?

Contester tout, tout le temps ; se battre même sur des petites choses, pour que chaque difficulté ou brimade puisse être mise en lumière, et qu’on arrête un jour de nous répondre « circulez, y a rien à voir ».

Mais c’est facile à dire en tant qu’avocate et d’un point de vue extérieur ! Le problème pour les personnes détenues est évidemment le risque d’un retour de bâton (qui ne dira bien sûr pas son nom)…

 

Merci ! Pour information, voici une partie du rendu du tribunal en 2018 suite à une plainte déposée en 2011 par 2 détenus de la Talaudière :

(TA Lyon, 25 septembre 2018, n°154125.)
Il résulte de l’instruction que durant sa détention à la maison d’arrêt de Saint‑Etienne la Talaudière, Mr.C a occupé huit cellules différentes dont une au quartier disciplinaire. Il résulte du rapport d’expertise que l’intéressé a occupé avec deux autres détenus pendant 48 jours la cellule 222 d’une superficie d’environ 10,11m², pendant 8 jours la cellule 221 d’une superficie d’environ 10,04 m², pendant 60 jours la cellule 223 d’une superficie d’environ 10,04 m². L’espace par détenu, meubles compris, était alors de 3,3 à 3,4 m². Concernant la cellule disciplinaire 401 occupée par Mr.C, l’expert a relevé pendant sa visite que le lit ne comportait pas de matelas. L’expert indique également, s’agissant du local des douches utilisé notamment par les détenus de la cellule 221 que ce local présente une humidité générale et se trouve dans un état très vétuste. Par ailleurs, il résulte du rapport d’expertise, s’agissant des cellules 222, 221, 223, 231, 130 occupées par plusieurs détenus, que les toilettes étaient séparées à mi-hauteur du reste de la cellule, ce qui ne garantie pas suffisamment l’intimité des détenus. Dans ces conditions, Mr.C est fondé à soutenir qu’il a été détenu dans des conditions n’assurant pas le respect de la dignité humaine, en méconnaissance notamment de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles D. 349 et D. 350 du code de procédure pénale et ne garantissant pas suffisamment l’intimité du requérant en méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

 

 

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